L’Afrique devrait-elle regretter le décès d’Elizabeth II “l’héritière coloniale”

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Elizabeth II a entretenu des attaches particulières avec les anciennes colonies britanniques et les membres du Commonwealth en Afrique. Du Kenya au Nigeria, en passant par l’Afrique du Sud et l’Ouganda, la mort de la reine Elizabeth a provoqué une pluie de condoléances des chefs d’Etat. Mais le décès de la monarque a également ravivé un débat sensible sur le passé colonial du continent, retour sur l’histoire de la reine avec le continent africain.

Elizabeth II s’est rendue 21 fois en Afrique. Selon le site de la famille royale, la reine a visité pratiquement tous les pays du Commonwealth. Mais certains voyages ont davantage marqué son règne long de 70 ans que d’autres. Le premier fut particulièrement important dans son parcours.

Au Ghana, une danse déterminante avec Kwame Nkrumah

Parmi ses tournées en Afrique, celle de fin 1961 fut parmi les plus essentielles, comme le rappelle Meriem Amellal Lalmas, journaliste à France 24. Du 9 au 20 novembre 1961, la reine décide de se rendre au Ghana, en dépit de l’opposition de la presse et de la classe politique britanniques, qui s’inquiètent d’un voyage dangereux et d’une dérive autoritaire du président ghanéen de l’époque, Kwame Nkrumah. Winston Churchill, mentor d’Elizabeth II, a lui-même appelé le Premier ministre d’alors, Harold Macmillan, à convaincre la reine de ne pas se rendre dans ce pays qui a déclaré son indépendance en 1957. La souveraine refuse d’annuler cette visite. Elle se sait très attendue là-bas. Déjà, en 1959, Elizabeth II devait s’y rendre. Mais la venue au monde prochaine de son troisième enfant, Andrew, l’a contrainte à y renoncer. Kwame Nkrumah avait mal pris ce désistement. Pour apaiser les tensions, la famille royale l’avait invité à Balmoral, où le chef d’État avait passé quelques jours avec la reine. Plus tard, le prince Philip s’était rendu à son tour au Ghana et avait promis une visite prochaine de son épouse. Des enjeux très importants dépendent de ce séjour. Kwame Nkrumah, marxiste, se rapproche alors du bloc soviétique et menace de claquer la porte du Commonwealth. À son arrivée, la reine d’Angleterre est très bien accueillie. Mais c’est surtout lors d’un bal organisé en son honneur qu’elle marque les esprits : devant les objectifs du monde entier, elle danse avec le président du Ghana. “Cette image semble banale aujourd’hui. Mais dans le contexte, c’était extrêmement avant-gardiste. C’était une femme blanche qui dansait avec un homme noir, c’était la souveraine d’un empire qui dansait avec un sujet, tel qu’il était alors considéré, même s’il est aussi le père du panafricanisme et de l’indépendance ghanéenne“, explique Meriem Amellal Lalmas.
La reine Elizabeth II dansant avec le président ghanéen Kwame Nkrumah, le 18 novembre 1961 à Accra. © AP

La reine Elizabeth II dansant avec le président ghanéen Kwame Nkrumah, le 18 novembre 1961 à Accra. © AP

  La visite de la reine n’empêchera pas Kwame Nkrumah de se rapprocher du bloc soviétique, mais elle évitera la rupture avec le Commonwealth. La reine rassure le président et l’aide à obtenir des financements. Conquis, Kwame Nkrumah déclare : “Le vent du changement qui souffle sur l’Afrique est devenu un ouragan. Quels que soient les effets de ce souffle sur l’Histoire, l’estime et l’affection personnelle que nous avons pour Votre Majesté resteront inchangées.” Jeudi, l’actuel président du Ghana, Nana Akufo-Addo, a été le premier chef d’État à réagir à la disparition d’Elizabeth II. Sur Twitter, il a notamment écrit : “En tant que cheffe du Commonwealth, elle a supervisé la transformation spectaculaire de l’Union et l’a amenée à accorder une plus grande attention à nos valeurs et à une meilleure gouvernance. Elle était le roc qui a maintenu l’organisation solide et fidèle à ses convictions positives. Sa présence inspirante, son calme, sa stabilité et, par-dessus tout, son grand amour et sa croyance dans le but supérieur du Commonwealth des Nations et dans sa capacité à être une force pour le bien dans notre monde nous manqueront.”

Nelson Mandela, l’ami d’Afrique du Sud

Membre du Commonwealth dès sa fondation, l’Afrique du Sud a été un pays particulier dans l’histoire d’Elizabeth II. C’est là-bas qu’elle se rend à l’occasion de son premier voyage sur le continent africain, en 1947. Sur place, le 21 avril, jour de son 21e anniversaire, la future reine prononce, à la radio depuis Le Cap, un discours fondateur de son engagement. Fidèle à sa coutume de neutralité, la reine ne s’exprimera pas sur l’apartheid jusqu’à la fin du régime raciste. Dans son ouvrage “La Grande-Bretagne et le monde” (éd. Armand Colin), l’historien Philippe Chassaigne explique qu’Elizabeth II ne voulait pas se rendre à nouveau en Afrique du Sud “parce que ça aurait été cautionner la politique d’apartheid qui s’était mise en place”. Tout juste apporte-t-elle, au début des années 1980, un soutien discret à Brian Mulroney, le Premier ministre canadien, qui milite pour des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud. Margaret Thatcher, alors Première ministre britannique, y est de son côté opposée. Les relations fraîches ou compliquées entre Elizabeth II et Margaret Thatcher s’incarnent d’ailleurs autour de l’approche du Royaume-Uni vis-à-vis de Nelson Mandela : alors que la “Dame de Fer” considère le Congrès national africain (ANC), le parti de Madiba, d'”organisation terroriste”, la reine tend la main à celui qui a passé 27 années en prison. Peu après sa libération, en 1990, elle accueille Nelson Mandela au Royaume-Uni. Cinq ans plus tard, elle se rend elle-même en Afrique du Sud, où le leader de l’ANC vient d’être élu premier président de la République. Auparavant, dès 1991, Elizabeth II a cassé le protocole en invitant Nelson Mandela au sommet du Commonwealth à Harare, au Zimbabwe. Celui-ci n’a pourtant pas le rang requis pour assister au banquet de la reine. Mais qu’importe pour elle, qui a conscience de la portée symbolique de cette invitation. Elizabeth II est déjà sortie de sa réserve en se disant satisfaite de voir l’apartheid “en train de mourir”. Réagissant à la mort de la reine, la Fondation Mandela a publié vendredi un communiqué évoquant la relation très amicale qu’entretenaient ces deux figures majeures du XXe siècle : “Ils se parlaient fréquemment au téléphone, s’appelant par leurs prénoms respectifs en signe de respect mutuel et d’affection. (…) Dans les années qui ont suivi sa libération, Nelson Mandela a cultivé un lien proche avec la reine”, qu’il avait affublée du surnom de “Motlalepula” (“venue avec la pluie”), après la visite de 1995 qui fut marquée par des pluies torrentielles.
Le président sud-africain Nelson Mandela accueilli à Buckingham Palace par la reine Elizabeth II, le 9 juillet 1996. © AP

Le président sud-africain Nelson Mandela accueilli à Buckingham Palace par la reine Elizabeth II, le 9 juillet 1996. © AP

Des relations compliquées avec le Zimbabwe de Robert Mugabe

Unique pays d’Afrique à avoir quitté le Commonwealth, le Zimbabwe a été un partenaire compliqué et encombrant pour la reine Elizabeth II. En 2002, l’organisation décide en effet de suspendre le pays de son Conseil, en sanction à la présidentielle organisée cette année-là. Élu en 1990 et réélu en 1996, le président Robert Mugabe l’a emporté face à Morgan Tsvangirai avec 56,20 % des voix lors d’un scrutin marqué par les violences et les fraudes. Un an plus tard, le Zimbabwe décide de claquer la porte du Commonwealth, irrité d’apprendre que l’organisation veut maintenir sa suspension. Robert Mugabe en profite pour qualifier le Commonwealth d’organisation dirigée par des “Blancs racistes”. En 2008, sa nouvelle réélection, avec 90,22 % des suffrages, est une fois de plus dénoncée par nombre de démocraties dans le monde. En juin 2008, le divorce entre Londres et Robert Mugabe s’accentue un peu plus : David Miliband, le ministre des Affaires étrangères, propose de retirer au président zimbabwéen son titre de chevalier honoraire qui lui a été décerné en 1994. Elizabeth II approuva cette annulation. “Cette décision a été prise comme un signe de révulsion face aux violations des droits de l’Homme et au mépris abject du processus démocratique au Zimbabwe sous le régime du président Mugabe”, indique le ministère des Affaires étrangères.

“The Queen”, héritière d’un empire colonial

Après 70 de règne, Elisabeth II s’est éteinte ce 8 septembre à l’âge de 96 ans, laissant à son fils un Royaume-Uni endeuillé. Lorsqu’elle accède au trône britannique le 6 février 1952, Elizabeth II est âgée de 25 ans. Harry Truman est alors le 33ᵉ président des États-Unis, Staline dirige l’Union soviétique, la guerre de Corée fait des millions de morts, et sur le plan mondial, la guerre froide est installée depuis 1945. C’est dans ce contexte géopolitique particulièrement tendu que la Reine hérite d’un vaste empire britannique colonial, proche de la disparition. Car la perte de la majeure partie de ses possessions coloniales, telles que l’Inde et le Pakistan devenus indépendants en 1947, marque la fin d’une époque et le début d’une autre. Celle du développement du Commonwealth des nations, libre association de coopération des anciennes colonies britanniques. “Ainsi formé, le Commonwealth ne ressemble en rien aux empires du passé. C’est une conception entièrement nouvelle, fondée sur les plus hautes qualités de l’esprit humain : l’amitié, la loyauté et le désir de liberté et de paix. C’est à cette nouvelle conception d’un partenariat égal entre nations et races que je me donnerai corps et âme chaque jour de ma vie“, déclarait en 1953 “Sa Majesté la Reine”.

“Préserver leur influence tout en accompagnant la décolonisation”

Un moyen surtout pour la Grande-Bretagne de sauvegarder son influence sur les nations autrefois sous son contrôle, comme l’indique Martine Piquet, professeur d’études anglophones à l’université Paris-Dauphine, dans son article Le Commonwealth : convictions et incertitudesLe partage de valeurs communes et le caractère pour l’essentiel pacifique de la décolonisation britannique déboucha de fait sur une adhésion en nombre au Commonwealth des pays devenus indépendants : une vingtaine entre 1957 et 1970“, précise-t-elle. Outre la langue partagée par ses membres, il s’agit d’une communauté importante sur la scène internationale, en tout cas pour le Royaume-Uni, qui l’a vite compris. “La genèse du Commonwealth a été une démonstration éclatante du génie pragmatique dont surent faire preuve les Britanniques pour préserver leur influence tout en accompagnant la décolonisation“, développe Martine Piquet. Une manière donc de conserver leur mainmise sur les territoires qu’ils ont autrefois colonisés. Cette organisation intergouvernementale, qui rassemble 2,5 milliards d’individus, est aujourd’hui composée de 56 États membres, parmi lesquels 15 pays ont conservé le monarque du Royaume-Uni comme chef d’État. Citons notamment l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Jamaïque ou encore le Bélize. Les 36 républiques, telles que l’Afrique du Sud, le Bangladesh, le Botswana, l’Inde, Malte ou encore les Maldives, et 5 monarchies qui composent le Commonwealth ont quant à elles leur propre roi.

“Reconnaître les erreurs”

Et si les messages de soutien à la famille royale et les hommages à la défunte se sont multipliés à travers le monde, de nombreuses personnes n’ont pas manqué de souligner sur les réseaux sociaux l’assujettissement des pays autrefois colonisés par le Royaume-Uni. En juillet 2020, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, le prince Harry estimait que le Commonwealth, dirigé par sa grand-mère, devait “reconnaître” les erreurs liées à son passé colonial. “Quand on regarde le Commonwealth, ce n’est pas possible d’aller de l’avant si nous ne reconnaissons pas le passé“, avait-il déclaré, à propos de ce regroupement de 56 pays. En juin 2021, des étudiants de l’université d’Oxford, en Angleterre, s’étaient d’ailleurs attiré les foudres en retirant un portrait de la Reine Elizabeth II d’une salle commune en invoquant le colonialisme. Un acte qualifié d'”absurde” par l’ancien secrétaire d’État à l’Éducation Gavin Williamson. L’ancienne cheffe d’État symbolisait “ce qu’il y a de mieux au Royaume-Uni. Au cours de son long règne, elle a travaillé sans relâche pour promouvoir les valeurs britanniques de tolérance, d’ouverture et de respect dans le monde“, avait-il alors écrit sur Twitter. “Comment osent-ils“, s’indignait le lendemain en Une le tabloïd très conservateur The Daily Express, déplorant une nouvelle “victime de la cancel culture“. Décidément, “The Queen“, on n’y touchait pas.

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July 26, 2024 5:21 pm

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